Ma leçon de vie

Par Julie Robitaille

Ma fille a eu un an. Je me souviens du temps où j’ignorais encore tout d’elle : la couleur de ses cheveux, à quoi elle ressemblerait et, sa trisomie. Oui, ma fille est trisomique. Je dois avouer que tout n’a pas été rose depuis le début de notre aventure. Tout d’abord, l’annonce que je subirais une césarienne fut un choc, car je redoutais cette intervention longtemps même avant ma grossesse. À ce moment, j’ignorais que cette annonce n’était rien à comparer avec ce qui nous attendait à peine sortis de la salle d’accouchement. On ne se prépare à devenir parent d’un des 125 enfants qui naissent en moyenne chaque année au Québec et qui sont porteurs d’une trisomie 21.

Lorsqu’un couple attend un enfant, il lui prépare un bel accueil, fait les plus grands rêves pour lui avant même de savoir ce qui va l’intéresser, lui. Et voilà qu’en un mot, tous ces rêves s’écroulaient. Une fois passés les premiers bouleversements provoqués par l’annonce de ce diagnostic, je me souviens m’être sentie très fatiguée et lasse, ne voulant qu’une chose : dormir. Peut être qu’au réveil j’aurais seulement fait un mauvais rêve.

Mon parcours a été ébranlé. À 27 ans, je ne suis plus rien de ce que j’étais avant et malgré tous les soucis, je considère avoir reçu plus qu’on m’a ôté. Essentiellement, je trouve que je me rapproche de la vérité sur ma vie. Je sais que les minutes passent et ne reviennent jamais et que je me dois de les vivre comme j’aimerais m’en souvenir un jour. Après un an, tout n’est pas encore gagné, il y a encore beaucoup de jours difficiles, de moments où je me sens dériver d’une trajectoire pourtant planifiée. Pourtant, à travers cela, j’ai le sentiment d’avoir découvert des vérités fondamentales sur la nature humaine.

Tant qu’on n’est pas touché de près par un handicap ou la maladie d’un enfant, on croit que les parents qui vivent cette réalité sont extrêmement courageux, forts et tenaces. «Comment font-ils pour tenir le coup?», se dit-on. «Jamais on ne pourrait faire comme eux, ce serait trop difficile». Je comprends, car c’est ce que je croyais moi-même avant cette naissance. Maintenant, je comprends qu’on est ni plus courageux, ni plus forts et tenaces que les autres parents. C’est avant tout l’amour de notre enfant qui nous pousse à agir ainsi, à supporter les difficultés, à aller de l’avant. Rien n’est exceptionnel dans notre façon d’agir avec Laurence. C’est parce qu’on l’aime d’un amour inconditionnel qu’on serait prêt à tout pour elle. Il est vrai cependant que notre amour doit parfois emprunter un chemin différent, parfois plus sinueux. Mais au fond, ne dit-on pas souvent que chaque personne est différente des autres? Cela vaut autant pour ma fille. Les soucis des parents aussi sont de même nature : Va-t-il s’épanouir? Va-t-elle être heureuse, en santé? Nous sommes tous inquiets de la même manière pour nos enfants, comme n’importe quel parent sensible et aimant agit avec son enfant.

À l’instant même où nous avons reçu l’annonce, nous savions que c’était une épreuve mais nous étions loin de savoir à quel point Laurence transformerait notre vie. En apprenant un tel diagnostic, on n’arrive pas à s’imaginer ce qu’un enfant trisomique peut nous apporter. C’est ici que les gens qui côtoient le handicap se démarquent des autres. Les gens qui sont en contact avec ma fille apprennent à voir la personne qu’elle est, ce qu’elle aime, à quoi elle réagit, comment elle s’exprime. Une chose est certaine, plutôt que de demander à Laurence et à chaque enfant qui, je le souhaite, viendra agrandir notre famille de décrocher la lune, d’être le plus grand, le plus beau, le plus fin, je ne leur demanderai que d’être eux-mêmes, authentiques, de respecter leur rythme. Cela, aucun autre enfant que Laurence ne me l’aurait si bien appris. On a peur de ce qu’on ne connaît pas.

J’ai moi-même eu peur avant d’entrer pour la première fois en contact avec ma fille. À la suite de la césarienne, je n’étais vraiment pas en forme pour aller la voir à la pouponnière. Dans la nuit de sa naissance, les pleurs des autres bébés me réveillent et j’éprouve tout de suite le besoin de voir ma fille. J’ai un peu peur de ce que je vais voir, me souvenant de ma première impression en salle d’opération. À ma demande, l’infirmière revient de la pouponnière avec un petit tas de couvertures vertes et qu’elle me tend en disant qu’elle revient dans cinq minutes. Je tiens ma fille dans mes bras que je sens inexpérimentés et incertains. Je la regarde et m’étonne de la trouver si belle. Elle semble me dire : « Ne pleure pas maman, je n’attendais que toi, je suis bien et je m’en remets complètement à toi pour me faire découvrir le monde. Ne me juge pas avant de me connaître. Laisse moi seulement entrer dans ton cœur et y laisser mon empreinte. Laisse moi te prouver que j’ai tant à t’offrir. »

En un regard, tout a été clair. J’aimerais cette enfant pour toujours. Elle est un ange. Elle ne peut être rien d’autre.