Employer une personne ayant une déficience intellectuelle
Par Rachel Germain, Agente d’information, Association pour l’intégration sociale (Région de Québec)
Inspirée de la Semaine québécoise des personnes handicapées qui se tient du 1er au 7 juin et qui se veut une semaine de sensibilisation où l’intégration des personnes vivant une limitation (physique ou intellectuelle) est mise en lumière, l’Association pour l’intégration sociale (Région de Québec) a interviewé M. Pierre-Étienne Vachon, directeur général de La Fringale, service de traiteur scolaire et préscolaire qui embauche depuis 3 ans Gabriel Lemieux, adulte vivant avec une trisomie 21.
Le but de cet entretien était de connaître les motivations à engager une personne vivant avec une déficience intellectuelle, les bienfaits de cette expérience et les apprentissages des deux parties dans cette aventure…
Q: M. Vachon, au tout début, qu’est-ce qui vous a motivé à embaucher un employé vivant avec une déficience intellectuelle?
En fait, au moment de l’embauche, nous ne cherchions pas spécifiquement pour un employé vivant avec une déficience intellectuelle. Notre choix s’est arrêté sur Gabriel après une remise en question sur nos réels besoins. Le poste que Gabriel occupe est crucial au sein de notre compagnie. Par contre, le recrutement pour ce poste avait été très difficile depuis des années. Et même si nous arrivions à trouver quelqu’un, notre relation d’emploi avec la personne était généralement éphémère. Comme ce rôle est si important au bon fonctionnement, nous nous devions de trouver quelqu’un de stable qui occuperait la position avec fierté et dévouement. Ce qui sont des valeurs très rares de nos jours. C’est alors qu’ÉquiTravail nous a contacté et après leur présentation, nous avons vite constaté que cette offre de service correspondait
exactement à ce que nous recherchions: quelqu’un de stable, loyal et fier d’occuper un poste chez nous. Gabriel est parmi nous depuis plusieurs années maintenant et en toute honnêteté, ses services sont indispensables.
Q: Avant l’embauche de M. Lemieux, aviez-vous déjà embauché une personne vivant avec cette réalité?
Nous avions un peu d’expérience avec des employés en rémission d’une dépression ou avec des troubles d’anxiété et d’humeur mixtes, mais jamais avec les caractéristiques composant la réalité de Gabriel.
Q: Aviez-vous des inquiétudes relatives à l’embauche d’une personne présentant une déficience intellectuelle?
Majoritairement, ce n’était pas des inquiétudes mais plutôt un questionnement sur l’inconnu. N’ayant jamais vécu ce type d’expérience auparavant, nous n’avions aucune idée à quoi nous attendre. Par contre, ici à la Fringale, le respect est une valeur très importante pour nous. Donc, avant l’entrée en fonction de Gabriel, il fût impératif pour nous que tous les employés comprennent les enjeux et la réalité de Gabriel et que nous nous assurions du respect et du support portés envers lui.
Q: De quel support avez-vous bénéficié pour vous accompagner dans ces démarches?
Nous avons eu le support d’ÉquiTravail et des différents intervenants de Gabriel. Le plus grand atout que nous avons eu est en fait sa mère. Nous observons d’ailleurs un grand respect pour tout ce que cette femme fait. Sans l’aide de sa mère, nous n’aurions pas été en mesure de bien cibler nos actions pour faire progresser Gabriel. Les différents intervenants qui œuvrent, selon moi, avec des ressources trop
limitées, n’ont juste pas la disponibilité nécessaire pour bien nous exposer la situation et nous aider à faire de notre relation avec Gabriel une situation gagnant-gagnant.
Q: Avez-vous rencontré des difficultés quant à l’adaptation de l’équipe face à l’embauche d’une personne présentant une déficience intellectuelle?
En voulant tellement nous assurer du bien-être et de l’intégration de Gabriel au sein de notre équipe, nous avons été victimes de notre travail à cet effet. En fait, nous nous sommes trouvés dans une situation où tous les employés le surprotégeaient et le couvaient complètement. À vrai dire, c’est quand même un beau problème car notre inquiétude primaire était de loin résolue. Par contre, cette situation nous empêchait de bien gérer le progrès de Gabriel et de pouvoir l’encadrer adéquatement. Ses erreurs et faux pas étaient complètement cachés par la célébration de ses bons coups de la part de l’équipe. Il nous fallut donc réajuster le tir afin que nous puissions faire grandir Gabriel dans un cadre approprié.
Q: Y a t-il des mesures spéciales qui ont été mises en place pour faciliter l’intégration de ce dernier? Avec quel organisme?
Avec l’aide des intervenants de Gabriel, principalement ÉquiTravail et sa mère, nous avons appris les rudiments de la gestion de personnes vivant la réalité de Gabriel. En bref: structure, encadrement, discipline, renforcement positif, tous adaptés à sa situation à lui. Nous avons donc travaillé à adapter des outils de gestion avec des objectifs précis dans lesquels Gabriel se reconnaîtrait et progresserait.
Q: Considérez-vous que cette personne soit traitée au même titre que tous les autres employés? Avez-vous des exemples?
Non, pas du tout! Pour être honnête, même si on voulait une parité totale, il demeure que Gabriel est un peu le chouchou de tous. On travaille fort pour que Gabriel soit traité au même titre que les autres mais il a encore droit aux occasionnels traitements de faveur. Et pourquoi pas… on ne peut pas aider tous ceux qui vivent la même réalité que Gabriel mais on peut toujours s’assurer que notre Gabriel soit traité aux petits oignons!
Q: Qu’est-ce que la présence de M. Lemieux apporte de positif au sein de votre entreprise?
Beaucoup de plaisir et de rires sincères. Sur le plan professionnel, Gabriel est quelqu’un de très travaillant dont notre compagnie aurait peine à se passer. Il assume une position très importante au sein de notre organisation et son rôle est crucial au bon fonctionnement de notre production ainsi qu’à l’image corporative chez la clientèle.
Q: Avez-vous une anecdote à nous raconter au sujet de M. Lemieux concernant son intégration dans l’équipe ou relativement à ses tâches?
Oui, plusieurs, mais une qui nous fait bien rire est arrivée lorsque je l’agaçais au sujet des Canadiens de Montréal. Si vous ne connaissez pas Gabriel, le CH c’est une énorme partie de sa vie et généralement ce qui dicte son humeur de la journée. Je me suis souvent pris à écouter les résultats des matchs, question de savoir si Gabriel serait de bonne humeur cette journée-là! Bref, je l’agaçais amicalement, évidemment, quand soudain il s’est exclamé «Pierre-Étienne, tu es renvoyé!» Cette histoire me fait encore sourire! Renvoyer son directeur général, ça prend quand même un peu d’audace!
Q: Quel conseil donneriez-vous à un employeur qui se questionne avant d’embaucher une personne présentant une déficience intellectuelle?
À prime abord, je dirais, écoutez et apprenez à les comprendre… Ils risquent de vous apprendre une leçon ou deux sur la vie. Assurez-vous que l’environnement de travail que vous leur offrez correspond exactement à leurs capacités et attentes. Faites attention à ne jamais les placer dans une situation d’échec, souvent ils ont un grand cœur sensible. Finalement, si vous faites ça pour avoir une subvention et/ou trouver des employés qui ne vous coûtent pas cher, vous n’avez vraiment rien compris!
Nous aimerions remercier l’AISQ pour la permission de republier ce texte.