À l’occasion de la Journée mondiale de la trisomie 21, sommes-nous prêts?
Par Andréanne Rodrigue
Le 21 mars… Quelle belle date, vous ne trouvez pas? C’est l’hiver qui s’achève, c’est le printemps qui fait son entrée en grande pompe, avec son doux renouveau d’odeurs, de fleurs et de soleil…
Le 21 mars, depuis 2005, c’est aussi la journée mondiale de la trisomie 21, cette particularité génétique qui entraîne plein de belles choses mais aussi certains retards au niveau du développement, et particulièrement une déficience intellectuelle d’intensité variable. Le 21e jour du 3e mois, date n’ayant pas été choisie au hasard, croyez-le, souligne désormais la réalité des gens vivant avec une trisomie 21. Cette année, le fait est d’autant plus marquant que l’événement sera pour la première fois officiellement reconnu par l’ONU. L’importance de cette journée prend donc une envergure mondiale et partout sur la planète, de plusieurs façons, on célèbre ces êtres à part entière, ces personnes magnifiques reliées entre elles par ce trésor génétique du 3e chromosome sur la 21e paire.
Je suis la maman de Jérémie, pour qui on célébrera le 21 mars. Avoir un enfant porteur d’une trisomie 21 est une expérience de vie d’une authenticité rare, nous faisant atteindre des sommets émotifs d’une intensité extrême, d’un pôle à l’autre. Mais mon but aujourd’hui n’est pas de m’appesantir sur le diagnostic, l’annonce, l’adaptation, etc. Car le cheminement de chacun vis-à-vis le handicap d’un enfant est très personnel et s’avère un exploit en soi, peut importe la manière dont il est vécu. Non, aujourd’hui, le 21 mars, en pensant à ce vent de solidarité internationale qui nous unit, je me mets à penser à notre société et j’essaie de comprendre où nous en sommes exactement par rapport à la trisomie 21.
Depuis sa naissance, Jérémie est l’objet de tout notre amour et notre attention, et il en est de même pour notre entourage. Tout notre petit monde aime Jérémie. Facile, c’est un petit garçon tellement intense et vrai, dans tous ses extrêmes! Cependant, depuis près d’un an, depuis son entrée à l’école, nous vivons un changement dans notre manière d’aborder la situation : nous voyons maintenant notre fils évoluer dans le monde. Les autres. Ceux qui ne le connaissent pas. La société, sa société. Les défis sont grands, voir énormes. Je nous vois chaque jour imaginer des solutions, mettre en place des stratégies pour arriver à des standards qu’on qualifiera d’acceptables. Se comportera-t-il de façon socialement acceptable? Réussira-t-il à maintenir un rythme suffisant pour acquérir les notions intellectuelles qui lui assureront une autonomie relative plus tard? Pourra-t-il occuper un emploi respectable? Sera-t-il accepté, apprécié de ses pairs? Car la déficience intellectuelle, ça dérange. Ça nous déstabilise. En fait, ça nous oblige à revisiter nos préjugés, nos valeurs. En fait, ce qu’on se demande, c’est : arrivera-t-il à se fondre dans la masse?
Mais pourquoi? Quelle masse? Celle d’une société axée sur la production et obsédée par la performance? Justement, avons-nous vraiment tout compris, comme société? Sommes-nous certains de capitaliser sur les bonnes valeurs? Oui, nous avons de belles et grandes richesses, nos percées scientifiques et technologiques sont dignes de mention, nous avons de solides structures politiques, économiques et sociales. Nous voulons avancer, progresser, développer, et nous y arrivons, tout va tellement vite. Nous avons des assises stables et des moyens suffisants pour envoyer des délégations entières dans plusieurs pays sous-développés afin de les soutenir, de leur venir en aide et de partager nos richesses, tant matérielles que sur le plan des connaissances. Et c’est fantastique, croyez-moi, loin de moi l’idée de dire que ces missions n’ont pas leur raison d’être. Mais en ce 21 mars, en m’imaginant de quelles manières ces sociétés souligneront la journée mondiale de la trisomie 21, je me dis qu’elles ont tellement à nous apprendre. En effet, ces sociétés sont souvent les plus solidaires, celles qui valorisent plus leurs aînés, qui soutiennent le plus leurs personnes handicapées, au niveau de la reconnaissance, du respect, de la dignité et de la participation sociale.
Alors je me repose la question : comme société, sommes-nous sur le bon chemin? Oui, nous respectons les personnes trisomiques. Nous affirmons haut et fort qu’elles ont leur place. Mais avouons-le donc : il ne faut pas que ça nous dérange trop, n’est-ce pas? Il ne faut pas que ça nous empêche d’avancer. De produire. De nous enrichir. Surtout, il ne faut pas que ça nous ralentisse. Alors comment on fait? Bien, c’est simple, on leur fait une place, tant qu’ils entrent dans le moule. Tant qu’ils atteignent les standards que nous avons établis, qui nous paraissent acceptables et qui font avancer notre société soucieuse de performance. Mais en faisant cela, ne sommes-nous pas en train de nier le handicap, au lieu de l’accueillir et de lui offrir une place dans une société qui ne pourrait que s’enrichir à travers la diversité?
Aujourd’hui, ce que je suggère, c’est un examen de l’âme. Individuel, prioritairement, mais aussi de notre âme de société. Et je m’inclus dans le processus, soyez-en certains, je ne suis meilleure que personne. Seulement, mon cheminement de mère m’a emmenée vers ces questionnements. Je n’arrêterai jamais de stimuler mon fils, de l’aider, d’ouvrir des portes pour lui, de jouer du coude pour lui faire une place, de revendiquer ses droits à l’égalité et à l’inclusion. Mais ce n’est pas tout de préparer mon fils pour le monde. J’essaie aussi, à petite échelle, de préparer le monde pour mon fils. Ce que je revendique, en fait, c’est un juste retour du balancier. La trisomie 21 engendre une multitude de défis, et il est stupéfiant de voir ces gens les relever avec brio. Nous demandons énormément à nos personnes trisomiques, nous les poussons, nous leur demandons de s’adapter au monde qui les entoure. Mais considérant que ce monde est aussi le leur, pourrait-il, lui, s’adapter à eux? Ainsi, nous réussirions peut-être à atteindre un juste milieu des plus confortables, où les réalités de tous et chacun se rejoindraient. Adapter le rythme, modérer les exigences, ajuster les standards en fonction des capacités et du potentiel de chacun, ne serait-ce pas donner à chacun une place à sa juste valeur dans sa société et lui procurer un réel sentiment d’appartenance? En 2012, nous avons l’imagination et la créativité nécessaires pour leur ouvrir cette porte. Bâtissons avec eux une société inclusive et rapidement, ils nous feront profiter de toute la gamme de leurs possibilités.
Mais pour ça, il nous faudrait renoncer à certaines idéologies bien ancrées. Selon moi, il en va du salut de notre société. Nous devons nous regarder le nombril, nous recentrer sur ce qui est le plus important et réajuster le tir. Ce serait laisser un héritage de valeurs d’entraide et de solidarité, de spiritualité même, inestimable à nos enfants. Mais… sommes-nous prêts? Sommes-nous prêts à assumer toute la diversité que nous suggère la vie?
Quand la trisomie 21 fait son apparition dans notre vie, croyez-moi, on voudrait tellement que tous ces changements aient déjà eu lieu. Que le monde soit déjà parfait pour accueillir notre petit trésor. Alors n’attendons plus. Soyons nous-mêmes le changement que nous souhaitons pour notre société. En ce 21 mars, s’il vous plaît, prenez 5 minutes de votre temps. Juste 5 minutes pour vous questionner, à savoir où vous en êtes exactement. Quelle place vous voyez pour les personnes trisomiques et comment, concrètement, vous pouvez y contribuer. Vous êtes propriétaire d’entreprise, entraîneur sportif, à la tête d’une équipe de bénévoles, etc. Soyez créatifs, créez des opportunités! Vous êtes, comme moi, un parent soucieux d’offrir le meilleur à vos enfants; parlons-leur, démystifions la différence, procurons-leur les bonnes clés pour la côtoyer, l’apprivoiser et l’inclure. Merci pour ces 5 minutes. Si vous les prenez, vous ferez ainsi un immense cadeau à mon fiston et à ses confrères et consoeurs de la différence. Ceux à qui le chapeau fait, hâtez-vous de l’enfiler. Ceux qui le portent déjà, merci infiniment.
La trisomie 21 n’est pas une fatalité. Certes, au début, c’est le choc, l’acceptation, l’adaptation, pour nous, gens d’une société qui cherche la perfection à tous les niveaux. Mais chaque jour, on grandit avec la différence. On se découvre des trésors de force jusque-là insoupçonnés. Au début, mon sentiment de culpabilité était énorme. Je croyais que mon corps m’avait fait défaut en ne me donnant pas l’enfant parfait. Puis, 6 ans plus tard, quand je regarde ma vie avec Jérémie, ce que je suis devenue… Non, mon corps ne m’a pas trahie… Il a simplement fait grandir mon âme, qui en avait bien besoin. C’est ce que je nous souhaite, comme société, en ce 21 mars. Que ces personnes que nous célébrons aujourd’hui fassent grandir nos âmes. Mais… sommes-nous prêts?