Un peu d’histoire…

Par Jean-François Martin, professeur en Techniques d’éducation spécialisée et père d’un enfant ayant la trisomie 21.

L’histoire a longtemps laissé la trisomie dans l’ombre, faisant surtout état de la déficience intellectuelle y étant associée. Craindre, ignorer, exclure, rejeter ou protéger ces personnes : voilà autant d’émotions, d’attitudes et de comportements qui ont longtemps guidé la perception que nous en avons eue et nos décisions collectives face à la place qui leur est consentie.

Toutefois, on peut constater que l’histoire récente témoigne d’acceptation de leurs différences, voire de leur contribution à la société, donc de leur participation sociale. La recherche en génétique humaine a pour sa part permis de comprendre le hasard chromosomique à l’origine de la trisomie 21; ce qui contribue à la diminution des craintes et à une ouverture. Voici quelques repères.

Archéologie

Des figurines olmèques datant de 1 500 à 300 ans av. J.-C. révèlent les premières traces de la trisomie; ce peuple vivait en Amérique centrale.

Philosophie

Pendant l’Antiquité, Platon (427-348 av. J.-C.), dans La République, fait mention des personnes ayant une déficience intellectuelle. Pour l’essentiel, il recommande de les rejeter et de les cacher. Guère plus généreux, Aristote (384-322 av. J.-C.) réclame, dans sa Politique, que seuls les enfants normaux doivent être élevés.

Débuts du christianisme…

Au début de l’ère chrétienne, le christianisme engendre les notions de bien et de mal. D’où la faute, la culpabilité pour tout ce qui nous arrive! Dans ce contexte, la déficience intellectuelle est vue comme une punition qui provoque sentiments de culpabilité et rejet, et pour la personne et pour ses parents. Ainsi, Saint-Augustin (354-430 après

J.-C.), dans son Contra Julianum, tient des propos très durs à l’endroit de ces personnes, disant notamment qu’elles n’ont pas d’esprit.

Médecine, éducation et développement de la personne

En 1799, Jean-Marc Itard (1774-1838), médecin travaillant auprès des personnes sourdes, découvre un enfant ayant une déficience intellectuelle, dans la forêt d’Aveyron, en France. On nomme cet enfant : Victor de l’Aveyron. Son travail auprès de lui l’amène à créer un programme d’éducation qui sera la base d’une pédagogie auprès des personnes ayant une déficience intellectuelle.

Grandement influencé par les travaux de Itard, Édouard Séguin (1812-1880) établit, en 1837, un programme d’éducation à La Salpetrière, à Paris, afin d’aider ces personnes. Il étend le contenu de ce programme d’éducation, en insistant sur le développement, tant musculaire que nerveux et physiologique de la personne. De plus, Édouard Séguin est le premier à décrire le faciès particulier des personnes ayant une trisomie.

Aristocratie et racisme

En 1846, le Dr John Langdon Haydon Down, un aristocrate britannique, fait lui aussi une description très détaillée du faciès des personnes ayant une trisomie. Sa description a cependant une connotation raciste; il les compare, en effet, aux Orientaux dont l’aristocratie britannique considère, à cette époque, qu’ils sont une race inférieure… et dont le développement ne serait pas terminé! D’où le terme « mongol » qui, aujourd’hui encore, est employé pour désigner une personne ayant une trisomie ou encore pour ridiculiser quelqu’un.

Internement progressif des personnes

Jusqu’à la fin du XIXe siècle au Québec, les familles sont seules responsables des services à leurs enfants, sauf exception. Au début du XXe siècle, les communautés religieuses ouvrent des hôpitaux psychiatriques, des crèches et des orphelinats pour recueillir les enfants ayant besoin d’aide, dont ceux qui présentent une trisomie 21. Déficience intellectuelle et problème de santé mentale sont alors confondus. L’objectif de l’intervention des communautés consiste alors à « garder » ces personnes et à leur prodiguer des soins de base : alimentation, hygiène, etc.

Eugénisme

En Europe, entre 1939 et 1945, pendant l’Holocauste, différents groupes de la population sont visés par cette gigantesque entreprise qui vise la pureté de la race aryenne. Les personnes présentant une déficience intellectuelle font partie de ces groupes.

Recherche en génétique humaine

En 1959 à Paris, l’équipe du Dr Jérôme LeJeune découvre la présence d’un troisième chromosome sur la 21e paire. Avant cette date, nul n’avait d’explication sur le syndrome de la trisomie 21. Cette découverte permet de mieux saisir le fonctionnement cérébral et physiologique de la personne. Elle offre, en outre, des pistes aux chercheurs.

Développement des sciences humaines et sociales

Au Québec vers le milieu des années soixante, la Révolution tranquille donne lieu au développement des sciences humaines et sociales. On pense alors en termes de développement des capacités des personnes et d’accès à l’éducation, au travail, etc. Des approches éducatives se développent et on forme des intervenants et intervenantes. Provenant des pays scandinaves, l’idéologie de la « normalisation » et, dans la même lignée, de la « valorisation des rôles sociaux » inspire les approches en intervention. D’où un remaniement complet des grandes institutions asilaires.

Autour de 1970, on vise la désinstitutionnalisation des personnes; ce qui donne naissance à des internats de rééducation. Depuis les années 1980, le Gouvernement du Québec, ses organismes de services et les associations de parents travaillent ensemble dans une perspective d’intégration et de participation sociale.

La recherche en génétique humaine se poursuit

Ces dernières années, les retombées du projet de génome humain ont incontestablement orienté les activités de plusieurs chercheurs s’intéressant à la trisomie 21. Des questions d’ordre éthique se posent de plus en plus. Toutefois, l’amélioration de la qualité de vie de la personne demeure au centre des préoccupations de recherche. Ce que réclament d’ailleurs les associations de parents, en travaillant de concert avec les milieux de recherche et d’intervention.