À coeur ouvert
Par Annie Pelletier
Je m’appelle Annie Pelletier. Non, pas la plongeuse! Je suis la maman de Daphné, née le 13 décembre dernier, accompagnée de petites cellules spéciales. Une semaine après sa naissance, encore sous le choc, nous apprenions que notre petite puce avait non seulement des cellules spéciales mais aussi un coeur spécial… Quel bagage pour un aussi petit bébé! Quelles émotions pour une pauvre famille devenue le temps d’une supposition de diagnostic totalement démunie.
Car rien n’avait encore été confirmé et tous les espoirs du monde nous habitaient. Mais après notre visite à l’hôpital Ste-Justine, où nous avons rencontré un généticien qui a examiné sous toutes ses coutures, notre fille. Lui nous a dit probablement que oui, elle l’était (trisomique). Vous savez par quoi? Son petit doigt! Non, pas celui du docteur, celui de Daphné. Il nous a surtout dit que notre fille devait être vue en cardiologie dans les plus brefs délais, immédiatement. Nous sommes donc allés consulter un cardiologue qui lui a fait passer plusieurs tests. Pour nous annoncer, après une longue journée dans cet endroit qui était loin d’être familier pour nous, comme tout ce qui nous arrivait d’ailleurs, que notre bébé avait une malformation cardiaque appelé atrio-ventriculaire complet(quelques trous dans le cœur) et que vers six mois, ils l’opèreraient. D’ici ce temps, Daphné devrait prendre des médicaments et être suivie régulièrement pour contrôler tout ça. Une question est cependant restée sans réponse : Va-t-elle se rendre à six mois? Nous n’étions plus démunis, nous étions démolis. Imaginez apprendre ça quelques jours avant Noël. Le lendemain, nous faisions baptiser Marie, Éléanore, Daphné. Mon père a engueulé le curé comme du poisson pourri. Devinez quel mot nous avons le plus entendu? « Pourquoi ». Pourquoi avoir permis à ma fille d’avoir cette enfant-là, s’Il est pour venir la reprendre d’ici quelques mois? La cérémonie a eu lieu à la maison et nous étions loin de la joie qui habite habituellement la famille lors d’un baptême, nous avions plutôt une face d’enterrement…
En secret, je vous le confirme je le lui offrais, à ce Dieu mon enfant. Oui, je souhaitais de toutes mes forces qu’Il vienne la reprendre. Ce fardeau, ce boulet qui s’accrochait à mon pied, pour toute sa vie, aussi lourd que l’ancre d’un bateau. Je vous dis cela en toute impunité, car plus les jours avançaient, plus je voulais la garder. Je me contrefichais de sa maudite trisomie. Ce qui comptait c’était qu’elle reste envie avec nous. En quelque sorte, sa cardiopathie nous a fait furtivement accepter sa trisomie.
Lorsque Daphné a eu quatre mois(quatre mois à survivre), la cardiologue de Ste-Justine m’a dit qu’elle la mettrait sur la liste d’attente lorsqu’elle aurait six mois, et que, si tout allait bien, l’opération devrait avoir lieu en juillet ou en août… Vous n’avez pas idée de ce que j’ai pu penser. J’étais furieuse. Daphné ne passerait pas au travers de trois ou quatre autres mois. Elle ne prenait pas de poids, elle avait l’air d’un nouveau-né. Sur le moment, je n’ai rien dit. La semaine suivant, je décidais de demander une deuxième opinion.
Par un grand geste d’humanité, j’obtins un rendez-vous au bout de cinq jours. Et là, ils me disent que Daphné doit être opérée le plus rapidement possible. Que les médicaments sont à la limite de faire ce qu’ils peuvent faire. Donc trois jours plus tard, on me téléphone pour fixer une date pour la chirurgie. Par un grand miracle, notre fille a été « réparée » le 9 mai dernier. Tout s’est déroulé de façon fantastique, au-delà de nos espérances. Et nous avons un gros poids de moins sur les épaules.
Je ne comprends toujours pas pourquoi à l’hôpital Ste-Justine on ne voyait pas l’urgence d’opérer Daphné. Je me suis dit que ce n’était peut-être pas important de la sauver. Une trisomique…Ah! oui. Je pourrais faire des appels, me stresser, m’enrager ou bien même m’engueuler avec eux, mais je garde mes énergies pour ma famille. On tourne la page. Ce qui compte, aujourd’hui, c’est que nous sommes heureux à nouveau.
Notre bébé qui va si bien maintenant. Pourquoi hypothéquer davantage son développement? Elle aura huit mois dans deux semaines et fait des progrès énormes chaque jour depuis son opération.
Daphné est issue d’une soirée plutôt romantique… Du genre, bébé surprise. Étant donné que nous avons déjà deux filles, les gens que je rencontrais durant ma grossesse me souhaitaient tous un gars. Moi, je leur répondais, un gars ou une fille, ce qui compte c’est que cet enfant-là soit en santé…Après l’accouchement, les gens me disaient : « Tu vas voir, elle va sûrement t’apporter quelque chose ». J’avais une envie folle de les envoyer promener (au petit coin). Maintenant, je commence à croire qu’ils avaient raison… Drôle de coïncidence. Je commence à ME DEMANDER, si ce n’et pas le plus beau cadeau que le bon Dieu a pu m’apporter…
C’est vrai, il m’arrive encore de pleurer. Mais combien de sourires et de joies, quand je vois Daphné s’améliorer à chacun de ses petits gestes. Et tout cet amour, ses petits doigts qui caressent mon visage quand je la prends dans mes bras. Elle, elle ne demande qu’à être aimée, elle nous aime aussi, ça se voit déjà. J’aurai sûrement des déceptions un jour ou l’autre. Mais quel enfant répond à toutes les attentes de ses parents? Il ne faut pas se faire d’illusions, et je le comprends maintenant.
Depuis presque huit mois, on me conseille de vivre vingt-quatre heures à la fois. N’est-ce pas là la philosophie des AA? Pourquoi ne pas adopter cette doctrine? Qui en fait, est peut-être le meilleur antidépresseur que je connaisse pour les maux qui ne se guérissent pas, mais au fond, qui s’apaisent…À tous les parents d’enfants spéciaux, je souhaite l’amour absolu de ce petit être, qui, rappelez-vous, ne demande qu’à être aimé.
(Janvier 2000)