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Par Jean-François Martin, professeur en Techniques d’éducation spécialisée et père d’un enfant ayant la trisomie 21.

La présence de la trisomie chez un enfant n’affecte pas seulement ses parents, mais aussi ses frères et sœurs. Des études ont d’ailleurs clairement démontré qu’ils vivent le même processus d’adaptation que leurs parents.

Malheureusement, nous sommes tellement pris par nos propres émotions que nous avons parfois de la difficulté à considérer ce qui se passe dans l’ensemble de notre famille. Et pourtant, chacun de nos enfants a besoin d’exprimer ses émotions et d’être soutenu dans cette expérience.

Enfin, nos attitudes comme parents d’un enfant ayant une trisomie s’avèrent déterminantes; elles guideront les attitudes et les comportements de nos enfants.

Des réactions déterminantes chez les parents… Que ressentent nos enfants? J’espère qu’ils n’oublieront pas mon anniversaire… Évidemment, tout lui est permis… à lui!

Est-ce dangereux pour moi? Est-ce ma faute? De quoi j’ai l’air…? Dans la famille : à chacun son rôle! Souffrance, vie et nouveauté…

Des réactions déterminantes chez les parents…

La famille demeure l’espace où nos valeurs et attitudes prennent forme. À travers les réactions et les actions de nos parents, on apprend à distinguer les multiples couleurs de la vie. Les parents réagissent donc, à leur façon, à la présence d’une trisomie chez l’enfant. Quelle qu’elle soit, cette réaction sera perçue par les frères et sœurs de l’enfant. Leur attitude et leur comportement seront influencés par leur perception de la réaction des parents.

Soyons clairs : si le père, par exemple, démontre une attitude de rejet envers l’enfant ayant une trisomie, les autres membres de la famille risquent de présenter des comportements qui expriment le rejet. Il est donc essentiel que nous établissions, dès le départ, que cet enfant fait partie intégrante de la famille; il vient avec nous au magasin, il participe aux sorties familiales et on le respecte comme les autres. En agissant ainsi, on reconnaît – et on démontre – que tous les membres de la famille ont une place bien à eux, peu importe leurs différences.

Que ressentent nos enfants?

Culpabilité, colère et tristesse : voilà une partie de ce que nos enfants ressentent.

Pourquoi lui et pas moi? Et moi, dans tout ça… est-ce que je suis encore important? Maintenant, à la maison, on ne parle que de ça… ce n’est plus comme avant.

Ce qui importe? Accompagner nos enfants dans leurs émotions et, surtout, ne pas faire comme si cela ne les affectait pas! Ne pas nier ces émotions; elles existent et sont tout à fait légitimes.

J’espère qu’ils n’oublieront pas mon anniversaire…

Malgré toute notre bonne volonté, nos enfants vivent des moments plus difficiles. Nous ne pouvons que les comprendre et les accompagner. C’est déjà beaucoup!

Ainsi, entre quatre et sept ans, l’enfant peut être jaloux de son frère ou de sa sœur ayant une trisomie. Pourquoi? Parce que cet enfant reçoit souvent une attention que l’autre n’a pas. Exemples : c’est toujours lui qui a le privilège d’aller seul avec maman à l’hôpital; c’est aussi lui qui reçoit la visite de la dame avec plein de jouets; c’est encore à lui qu’on permet de toucher à tout ce qu’il veut, et ce, sans rien dire.

Selon le point de vue d’un jeune enfant, celui qui présente une trisomie semble vraiment tout avoir pour lui! C’est une réaction normale; on doit s’y attendre et essayer d’y répondre, au mieux. Comment? D’abord, en lui expliquant que son frère ou sa sœur a besoin de rencontrer des gens qui l’aident dans son développement; ensuite, en lui offrant du temps juste pour lui. Ainsi, pendant que papa s’occupe du frère ayant une trisomie, maman pourrait très bien aller faire une marche avec l’autre enfant.

Évidemment, tout lui est permis… à lui!

On doit s’assurer qu’il existe une équité au sein de la famille. L’enfant ayant une trisomie ne doit pas profiter d’une immunité diplomatique! Il doit être régi par les mêmes règlements que les autres et, surtout, il doit apprendre à respecter les autres. Exemple : on n’a pas à le laisser jouer avec toutes les voitures de son frère. Notre message doit être clair : lorsque c’est non pour les autres, c’est aussi nonpour lui! En agissant ainsi, on démontre aux membres de la famille que l’équité s’applique à tous.

Est-ce dangereux pour moi? Est-ce ma faute?

Toujours entre quatre et sept ans, l’enfant peut ressentir une certaine confusion face à ce que signifie la déficience. Comment se fait-il que ma sœur a une trisomie et pas moi? Est-ce que ça s’attrape? L’enfant qui n’arrive pas à obtenir des réponses à ses questions peut s’isoler dans son monde et donner à la trisomie un sens totalement irréaliste. Il peut ainsi penser que sa sœur est née avec une trisomie parce qu’il a été méchant pendant la grossesse de maman ou encore qu’il risque de l’attraper s’il fait pleurer maman. Ces peurs peuvent être bien réelles dans le monde des enfants.

Voilà pourquoi nous devons répondre aux questions de nos enfants et même les devancer. Il est essentiel de toujours laisser une porte ouverte à la discussion. C’est ce que nous avons fait avec notre fille Rebecca. Nous lui avons demandé si, à l’école, les élèves lui posaient des questions sur son frère ou passaient des commentaires désagréables sur lui. En ouvrant le dialogue, on lui permettait d’exprimer ses émotions et on lui offrait aussi d’aller en parler avec d’autres. Chose importante : nous ne sommes pas les seuls à pouvoir écouter et comprendre nos enfants. Parfois, c’est plus facile pour eux d’en parler à leur professeur ou, par exemple, à la mère d’un ami.

De quoi j’ai l’air…?

Entre huit et douze ans, nos enfants peuvent ressentir beaucoup de frustration et de gêne. À cette période de notre vie, on espère surtout être pareil aux autres. Malheureusement, pour les frères et sœurs d’un jeune ayant une trisomie, ce n’est pas possible; il est probable que leurs amis n’aient pas de frère ou de sœur avec une trisomie, alors qu’eux…

Voilà pourquoi, à cet âge, les jeunes ont souvent tendance à se distancier de leur frère ou sœur ayant une trisomie. S’ils jouaient beaucoup avec lui auparavant, il se peut que maintenant, ils le délaissent… pour tenter d’être pareil aux autres. Faut-il paniquer pour autant? Pas nécessairement. Il faut respecter ce besoin pour le jeune de tenter de se normaliser face aux autres. Par contre, cela doit se faire dans le respect de tous. Les frustrations entre frères et sœurs sont normales. Toutefois, la mesquinerie, la méchanceté et le mépris n’ont pas leur place. Et ça, c’est à nous, les parents, d’y voir!

Dans la famille : à chacun son rôle!

Cela m’attriste toujours de constater des changements de rôles dans les familles où un enfant présente une trisomie. En effet, il arrive qu’un parent – et parfois les deux – confie, parfois inconsciemment, une partie de ses responsabilités de parent à un enfant de la famille. Dans la plupart des cas, la fille devient ce parent substitut. On lui impose de s’occuper de son frère, de l’amener partout avec elle, de s’assurer que tout se déroule bien dans la maison, etc. Ouf! Quel fardeau pour une enfant…

J’ai déjà vu une petite fille être continuellement obligée d’amener son petit frère avec elle, lorsqu’elle partait avec ses amies. Il est vrai que ça ne pose pas vraiment de problème lorsque les enfants sont jeunes et qu’ils s’amusent ensemble. Ça nous donne même une pause bien méritée! Toutefois, lorsque nos enfants sont plus âgés, l’écart s’accentue et la petite fille commence à se faire des amies; la présence de son frère devient alors de plus en plus inappropriée. Je me souviens très bien que je n’avais aucun intérêt à amener mon frère avec moi lorsque j’allais me promener avec mes amis. C’était mes amis et mon temps à moi!

Il est parfois difficile de voir l’un de nos enfants aller s’amuser chez ses amis, alors que son frère ou sa sœur s’ennuie à la maison. Cependant, notre responsabilité consiste à l’aider à développer des activités bien à lui et un réseau social qui comprend aussi des amis sans déficience.

Souffrance, vie et nouveauté…

On voudrait tellement que nos enfants ne soient pas affectés par les difficultés de la vie. On donnerait tout ce qu’on possède pour qu’ils ne souffrent pas! Toutefois, on oublie que la souffrance fait partie intégrante de la vie. Marcel Proust a dit : «La souffrance est une sorte de besoin de l’organisme de prendre conscience d’un état nouveau.»