La fête des mères

Par Anik Larose

C’est avec beaucoup de joie et d’émotion que je prends la parole aujourd’hui, le jour de la Fête des mères, pour partager avec vous, petits et grands enfants, mon expérience de maman.

Pour moi, ce moment est très important. En effet, il marque une étape, un but que je m’étais fixé, il y a quelques années, avant que la Vie me bouscule pour m’amener vers des contrées nouvelles et peu explorées… Vous allez comprendre…

Je vous raconte ma belle histoire…

Je suis une maman comme bien d’autres. Je suis une maman de deux enfants : Marie qui a six ans et Jean-Pascal qui a deux ans et demi. Notre famille semble tout à fait commune : un papa et une maman qui s’aiment, deux enfants, une maison, trois poissons !

Par contre, nous avons une petite caractéristique, ma fille Marie est porteuse d’une trisomie 21. Vous nous connaissez bien, vous connaissez Marie et ses câlins et sourires légendaires mais je souhaitais vous parler de ma perception, de ma vision de mère, de l’importance de Marie dans nos vies, du changement qu’elle a réussi à faire de par sa présence et de l’importance de ma foi dans mon cheminement d’amour et de paix.

D’abord, j’aimerais m’adresser à vous, les enfants. J’ai dit plus tôt que Marie était porteuse d’une trisomie 21. Mais c’est quoi la trisomie 21 ? C’est assez compliqué à expliquer. La trisomie, d’abord ce n’est pas une maladie comme la varicelle ou le rhume. Donc, on ne peut pas l’attraper, c’est pas contagieux. La trisomie, c’est un état. Par exemple, il y a des gens qui ont des yeux bruns, d’autres bleus, les cheveux blonds et raides d’autres bruns et frisés. C’est une caractéristique !

Je vais te donner une image plus simple. Imaginons que nous sommes tous des petites garde-robes comme celle que tu as dans ta chambre. À la base ou au plancher, on range les souliers. Nous avons tous 23 paires de petits souliers bien rangés, bien cordés. Ça c’est les 23 paires de chromosomes, un mot bien savant ! On a des souliers pour courir, pour les jours de froid, les jours de pluie, bref des paires de souliers qui servent à toutes sortes de choses. Pour Marie, elle, c’est un peu différent. On ne sait pas pourquoi, c’est le hasard, un coquin a mis un troisième soulier à la 21ème paire. Tu comprends que parfois, ça court moins bien, ça accroche un peu, il est parfois un peu de trop ! Mais on ne peut pas le retirer, elle est faite comme ça ma petite Marie.
Si on regarde un peu plus haut, il y a une pôle. Je l’appelle la pôle du cœur. Sur cette pôle, depuis que tu es né, ton papa, ta maman, tes frères, tes sœurs, toute ta famille, ont accroché des vêtements de toutes sortes : des robes pour l’amour, la tendresse, des chandails pour le respect, des pantalons pour la confiance et l’estime de soi, des jupes pour les félicitations lorsque tu réussis quelques choses ou bien pour des encouragements lorsque tu as de la difficulté. Tu as sur la pôle de ton cœur, plein de sentiments qui sont tellement importants et qui guideront tes pas dans la vie. Il y a le respect, l’estime de soi, l’amour comme je l’ai dit mais aussi le besoin d’être accepté, de se dépasser, de s’accomplir et un grand besoin… celui d’être utile. Et bien, pour cela, Marie est comme toi. Le troisième soulier ne change rien à cela. Elle a autant besoin d’aimer, d’être aimée pour ce qu’elle est et elle a autant besoin de sentir qu’elle a une place bien à elle, comme toi, comme nous tous.

Finalement, dans le haut de ta garde-robe, il y a une tablette. Sur cette tablette, on retrouve des boîtes à chapeaux dans lesquelles tu mets toutes les connaissances que tu as acquises depuis ta naissance. Tu as appris à te nourrir, à marcher, à courir, à parler, à lire, à compter, etc.

Ces boîtes se remplissent vite, vite, vite au fil des ans, et puis, tu réalises que tu sais lire ce qui est écrit sur la boîte de céréales, tu sais compter la monnaie lorsque tu fais une course pour tes parents, tu deviens alors de plus en plus autonome. Pour Marie, la boîte à chapeaux prend plus de temps à se remplir que pour toi. Le petit soulier ralentit le pas mais… ce qui est important et que l’on ne doit jamais oublier, c’est que la boîte se remplit quand même, tranquillement mais sûrement pour amener Marie à vivre sa vie d’adulte sans son papa ou sa maman collés sur elle.

Donc, Marie a une garde-robe un peu différente de la tienne sauf que la pôle de son cœur est composé des mêmes besoins que toi. Il lui faut juste plus de temps que toi pour remplir ses belles boîtes à chapeaux !

Voilà, tu sais un peu mieux ce qu’est la trisomie 21.

Section pour les adultes

Vous savez, j’ai beaucoup appris avec la naissance de Marie. Six ans plus tard, je suis capable d’en parler et je suis surtout capable de constater combien la venue de Marie a changé ma façon de voir la vie et de vivre ma foi.

Marie est arrivée dans notre vie le soir de mes 29 ans. Une vraie surprise ! Nous avons appris une heure plus tard qu’elle était handicapée. Ce fût un moment très difficile. J’ai vraiment senti que ma vie basculait. J’ai ressenti beaucoup d’injustice : pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter une telle punition ? Qu’est-ce que je vais faire pour m’en occuper ? Vais-je devoir consacrer toute ma vie à cette enfant? Les questions étaient multiples, la peine immense, le désarroi et le désespoir toujours présents. C’est alors que l’infirmière m’a demandé si je désirais voir ma fille, j’ai dit oui tout de suite, voyons, c’était ma fille, pourquoi cette question! J’ai pris Marie dans mes bras et elle m’a regardé droit dans les yeux. J’ai alors senti un courant passer et ce regard qui m’a dit « Aime-moi comme je suis ». Je suis tombée éperdument amoureuse de cette enfant et j’ai dit au Seigneur, que ta Volonté soit faite, je t’accueille Marie, tu es ma fille et ensemble nous allons vivre quelque chose de formidable. Tu m’as choisi comme mère, je ne le sais pas encore, mais je dois avoir des forces et des qualités pour t’accompagner. Sois la bienvenue Marie et tu peux compter sur moi, je suis ta mère et rien ne brisera ce lien si fort et si important. Tu n’es plus une surprise mais bien un formidable cadeau.

J’ai appris beaucoup de choses sur la Vie, sur notre société, sur les valeurs humaines. J’ai appris aussi que la différence fait peur, elle nous heurte, elle choque parfois, elle questionne surtout. Pour moi, ma fille c’est vraiment un cadeau du ciel. Elle m’a fait connaître le don de soi, l’amour sans limite, sans réserve et sans condition, d’accepter l’autre sans tenter de le changer, de faire preuve de grande tolérance pour toutes différences qu’elles soient raciales, religieuses ou idéologiques. Je suis une bien meilleure Anik depuis toi, Marie. Tu as une force de vivre, une joie et une immense capacité d’aimer. J’ai décidé de miser sur tes forces, de te faire confiance et de t’aimer tout simplement. J’ai vécu des moments très difficiles mais aujourd’hui, je me sens plus sereine. J’ai cessé d’en vouloir à la terre entière et je me dis que si le Seigneur m’a choisie pour être la mère d’une enfant handicapée, c’est qu’Il a cru en moi, qu’Il me juge capable de faire face à la musique et que surtout, Il a vu que j’ai une très grande capacité d’amour. Je crois fermement que les enfants sont plus qu’un prolongement narcissique et que nous devons les aimer pour ce qu’ils sont et non pour ce que nous souhaitons qu’ils deviennent.

Et puis, pour poursuivre cette histoire, en une belle journée de septembre, est arrivé notre petit prince, notre douceur, notre petit ange, Jean-Pascal. Avec son regard en point d’interrogation, il est venu, lui aussi, dans ma vie remettre les pendules à l’heure, à l’heure du bonheur, de la vie vécue simplement parsemée de mille et une petites joies et ainsi, faire taire un peu les grandes questions existentielles et déchirantes.

Je suis une maman comblée. J’aime cette relation malgré tous les tiraillements, les inquiétudes et les angoisses qui viennent avec. Je me sens utile, aimée, admirée, choyée. En retour, je les aime tous les deux et je les admire également. Je suis fière de Jean-Pascal pour sa délicatesse, son souci de l’autre et sa curiosité. Je suis fière de Marie pour sa détermination, sa fougue et son amour de la Vie.

Nous sommes une famille bien ordinaire, le temps a fait son œuvre en laissant un peu de paix et l’amour a fait son miracle. Je suis donc une maman comme bien d’autres mamans avec, peut-être en plus, un petit soulier qui me guette et qui ne demande qu’à me donner un petit coup, là où vous pensez, pour me forcer à aller plus loin, à me dépasser et bâtir, à chaque jour, malgré les découragements, la fatigue, la peur et les impatiences, ce Royaume tant espéré.

(2001)